Subir (il n’y a pas d’autre verbe car on ne choisit pas) la mort de quelqu’un ou la perte définitive d’une relation, c’est être plongé dans l’arbitraire, le chaos. C’est être envahi d’émotions contradictoires qui se succèdent parfois très rapidement.
On essaye de hiérarchiser les deuils : perdre un parent âgé, c’est dans l’ordre des choses. Perdre un parent avec lequel on a été en conflit toute sa vie, c’est déjà plus compliqué. On se réjouit qu’il s’en aille, on espère que cela nous soulagera mais on se sent coupable de ressentir ça et puis ça a été une figure d’attachement à laquelle on s’est accroché enfant et même si elle nous a toujours déçue, on garde ce mouvement d’amour.
Perdre un animal domestique ? On se dit que ça ne devrait pas nous toucher autant mais parfois cela nous touche davantage que la mort de personnes de notre entourage. Parce que cet animal nous a aimé d’un amour inconditionnel.
Perdre un enfant ? Ce n’est pas dans l’ordre des choses. On est dans l’arbitraire. Dans les surprises de la vie les plus insupportables. A moins d’une spiritualité hors norme ou à construire pour tenir. On est dans l’aléatoire qui peut tomber dessus à n’importe quel moment, sur n’importe qui. Mais on cherche ce que l’on a induit de déterminant. Et on ne peut en parler à personne. Les maux d’autrui semblent insignifiants et superficiels. Et quand on essaye de dire ce que l’on vit, cela fait peur et cela fait fuir.
Toutes les pertes et les morts, surtout les morts brutales et « prématurées » questionnent sur le sens de la vie, sur l’organisation du monde, sur le chaos existentiel, sur soi, sur ce qui compte.
Chez un enfant qui perd un proche, si il n’y a pas de mot, si il n’y a pas d’attention à ses comportements qui changent (il se met à voler, il se replie, il devient turbulent …), on peut voir devenu adulte, des symptômes divers, à type d’anxiété excessive, de sentiment d’insécurité permanent, d’attachement anxieux, de dépression …
Perdre quelqu’un et faire le deuil est un processus complexe qui nécessite l’acceptation d’un certain nombre d’émotions « effrayantes », variables selon la personne, la relation et l’investissement affectif placés dans cette relation. Il n’y a donc pas un deuil mais des deuils. Parfois, ce qui alerte, c’est de ne rien ressentir et de s’en sentir coupable. Parfois, ce sont les idées de mort. Parfois ce sont les désirs de vie.
Dans tous les cas, même si c’est une expérience universelle, dans un environnement où les émotions sont contrôlées et perçues comme un échec ou un signe de faiblesse, ce n’est pas une expérience à laquelle nous sommes préparés.
La traversée de ces émotions est nécessaire. Accompagné de bienveillance et de courage.
La vie ne sera plus jamais la même.
Et au bout du compte, une fois le deuil fait, on peut arriver à se dire que c’est tant mieux.